1.Bouâlam Sansal (BS) et Kamal Daoud (KD) sont deux écrivains algériens francophones d’abord, français après, opposants farouches au régime de nos plus proches voisins et cousins arabes et amazighes d’à côté ; de ces deux écrivains, à gauche comme à droite, en France, on loue et commente les positions politiques, l’obsédante et tenace opposition à l’idéologie islamiste et, plus secondairement, les qualités et talents de romanciers. Aujourd’hui, ils ont maille à partir avec les Autorités de leur pays d’origine.
Notons pour aller vite que les parcours de nos deux écrivains sont loin de se superposer et que, partant, ils demeurent à bien des égards différents même s’ils partagent nombre de convictions; notons aussi que les ressorts qui animent leur défense en France, à gauche et à droite s’ils peuvent se mettre en branle parfois ensemble, souvent ils se meuvent séparés; on ne les défend pas sur les mêmes bases et pour les mêmes causes et raisons. Si le discours à gauche rappelle surtout les principes intangibles de la liberté d’expression, de conscience et les fondements de la démocratie, à droite, on instrumentalise plutôt -et comme on peut- les comportements des autorités algériennes pour crier haro sur le baudet, dénigrer, accabler la Présidence militaire au pouvoir en Algérie en multipliant des qualificatifs aussi bas les uns que les autres. On s’y donne à cœur joie…réglant ses comptes parfois.
Du reste, les griefs retenus contre BS et KD n’entretiennent apparemment ni directement pas de lien : à BS, arrêté le 16 Nov. à sa descente d’avion en Algérie, on reproche essentiellement ses déclarations tonitruantes relatives à l’intégrité territoriale de l’entité géographique algérienne aux frontières historiques ; on l’accuse plus précisément, en vertu de l’Article 87 du Code Pénal algérien, de « porter atteinte à la sécurité de l’Etat, à l’unité nationale et même au fonctionnement normal des Institutions ». Contre KD, on retient une infraction à la loi algérienne qui pénalise quiconque se hasarde à ‘’exorciser les démons’’ en revenant sur les évènements sanglants et les manœuvres des politiques qui ont marqué les années noires 1991 -2006 en Algérie et que le pouvoir a tout fait pour enterrer définitivement dans la décharge de l’histoire : Le dernier roman de l’auteur, Houris (Gallimard, 2024) qui lui a valu le prix Goncourt de l’année a, en effet, pour trame de fond cette décennie de triste mémoire; on lui a même intenté un procès pour « avoir exploité l’histoire d’une victime de l’époque », le personnage principal du roman. Mais cela fait une autre histoire ! Mais cela interroge : Est –il moralement, politiquement, juridiquement permis, autorisé à tout écrivain de s’emparer des éléments de la vie intime, tenue secrète d’une personne pour en faire la matière d’un roman, par exemple, d’entrer en effraction dans un domaine privé, aidé en cela de complicités douteuses et pénalement condamnables ? Tout dépend vous répondra Tahar Ben Jelloun, tout en nuance, lui qui a appris à prendre des distances par rapport aux faits réels dont il s’inspire pourtant largement, lui qui sait ‘’romancer’’ malgré le « je » » du narrateur, ses blessures et ses douleurs, malgré les stigmates indélébiles que la langue et ses tropes ne peuvent qu’imparfaitement réduire. La rhétorique est là dès le titre où se bousculent l’hypallage, l’oxymore et la périphrase ; Cette aveuglante absence de lumière, est inspiré du récit de Aziz Binbine, un de ces détenus du sinistre bagne de Tazmamart qui ont su ou pu déjouer les lois d’une mort programmée et qui veulent témoigner. Entre le romancier (le scribe) et le témoin (le narrateur), un contrat a été scellé mais a –t- il été par les deux parties honoré ?
BS ‘’risque gros’’ d’autant plus que l’âge et la santé donnent l’homme pour fragile et vulnérable. A -t- il mal évalué les risques encourus en s’aventurant en Algérie ? Des années et des expériences accumulées, on n’attendra pas une réponse; on saura, peut-être, un jour ses motivations. KD a, lui, au moins, l’indéniable avantage de se trouver de l’autre côté de la Méditerranée mais la machine juridique algérienne tourne déjà à plein régime.
BS était attendu en Algérie depuis des années ; « on le cueillera au premier faux pas ! », répétait–on déjà dans les milieux spéciaux et généraux. On ne lui a jamais pardonné (entre autres déclarations et positions critiques exprimées à l’égard du régime « qui sévit en Algérie ») ce qu’il a écrit dans Gouverner au nom d’Allah : Face aux islamistes du FIS et à AIS, son bras droit armé, « de l’autre côté, l’Etat est toujours là, plus fort que jamais, disposant d’une manne pétrolière considérable, mais il n’est l’Etat que de la junte militaire et de ses clientèles locales et étrangères » (Gallimard, 2013, p25)…La Loi de Réconciliation nationale de 2006 ne réconcilie rien en réalité, ajoutait-il, à la même occasion. Alors, il est au moins déraisonnable d’attendre d’une autocratie déguisée, d’un ‘’cénacle’’ ou club de gradés militaires nostalgiques le moindre respect pour quelque voix dissonante.
Que pourrait-on attendre ou espérer d’un régime politique qui ne sait se départir de son habit et mœurs militaires, celui- là même qui rompit le processus démocratique enclenché par un vote populaire largement favorable en son temps aux islamistes du FIS, précipitant ainsi le pays dans une spirale de violence qui rappelle les moments les plus sombres de l’histoire algérienne, créant de la sorte les conditions d’une tragédie nationale ? On se fourvoie encore en Occident et particulièrement en France à se poser la question de savoir si la liberté d’expression constitue un « danger existentiel » pour un Etat qui ne s’est jamais prétendu démocratique.
- La France ! Oust ! Out ! Berra ! Dégage ! Un mot proféré, ces derniers temps, dans plusieurs langues africaines (autrefois, on dit idiomes « indigènes »). Les Etats africains du Sahel, de l’ancienne chasse- gardée de la France congédient quasi manu militari ou du moins brutalement dans le geste et la parole, les militaires français, les délogent de leurs casernes, les somment de ramasser leurs pénates et de quitter leurs bases. Après la Centre-Afrique, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, ce sont le Sénégal et le Tchad qui demandent à Macron de ‘’relever’’ ses troupes et de vider les lieux. Elles ne sont plus là, soutient-on, que pour préserver les intérêts français et perpétuer une politique France-Afrique qui n’a que trop durer, hautaine, agressive, paternaliste, « néocoloniale » par ses choix politiques et pour ses méthodes inclusives. La suffisance d’un Macron qui à toute occasion secoue sa crête comme un gallinacé dominant a fait le reste… quand il ne pas fait large, large son hypocrite sourire. Catastrophe diplomatique sans précédent. Chaos politique sans égal. Pour le premier de cordée, tout pète à l’intérieur comme à l’extérieur et la chute est imminente. Le drame pour la France –qui a mal géré ses contentieux avec ses anciennes colonies et perd ses positions en Afrique au profit d’autres puissances—ce seront les répercussions économiques d’une telle débâcle. Derrière le brouillard de poussière soulevé par les engins en partance des militaires français, se profilent depuis quelque temps déjà des ombres venues de loin, très loin.
L’écrivain public( SUITE)